Une Leçon de Piano

Une Leçon de Piano,

ou la double boucle de l'apprentissage cognitif

 

Résumé du livre :

La "Leçon de piano" propose un cadre théorique et un mécanisme de l'apprentissage permettant d'interpréter de manière cohérente une grande partie des phénomènes cognitifs observés dans les systèmes nerveux. Le cadre général est construit autour du concept d'objet mental en double boucle. Les objets mentaux ont des caractéristiques structurelles et dynamiques à l'origine de leurs propriétés fonctionnelles émergentes, dont la constitution de représentations de l'environnement, puis d'objets mentaux abstraits et de blocs d'objets mentaux. L'apprentissage apparaît ainsi comme une capacité centrale à partir de laquelle se développent automatiquement, en tant que qualités émergentes, les propriétés cognitives des systèmes nerveux évolués.

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Préface du Pr. Violaine Prince

En guise de " Prélude " à la " Leçon de Piano " de Christophe Lecerf

 

Le livre de Christophe Lecerf est, dans ma propre appréhension des choses, une de ces pierres d'angle scientifiques de la fin de notre siècle, à côté de laquelle il convient de s'arrêter sous peine de rater quelque chose d'important. J'ai peu coutume de m'enthousiasmer pour un ouvrage, en particulier pour un ouvrage dit de sciences cognitives, dans la mesure où nous sommes abreuvés depuis quelques années d'oeuvres de spécialistes satisfaits d'observer le monde par le petit bout de leur lorgnette, et encore plus satisfaits de présenter leur observation comme étant le monde lui-même.

Christophe Lecerf, un jour, au détour d'une conversation, m'a présenté une ébauche de travail scientifique récapitulatif de ses propres recherches. Cette ébauche, je l'ai lue, plus avidement que je n'ai lu aucun livre sur les modèles de l'esprit, depuis Fodor jusqu'à Edelman en passant par Winograd et Minsky. Cela pour ne citer que l'École anglo-saxonne récente, sans omettre les fantômes des philosophes de la computation, comme Wittgenstein, Popper, Russell ou Husserl, ni oublier le néo-matérialisme sans dialectique de la neurobiologie de Changeux. Certes, ces noms illustres ont été largement salués pour leur apport à la science : ils n'ont guère besoin d'approbation complémentaire. Cependant, quelque part, dans un coin, de façon tout à fait anonyme, dans l'attitude modeste et authentique du chercheur, Christophe Lecerf a mis bout à bout le microscopique et le mésoscopique, la machine humaine et la machine électronique, le modèle de la pensée et ses substrats neuronaux. C'est ce travail de " moine " de la recherche, non pas dans son acception d'archiviste, mais dans celle d'exigence et d'absolu, que j'ai l'immense honneur de présenter aujourd'hui.

Cette première ébauche fut difficile à lire, car l'homme qui a capitalisé en lui l'expérience de la recherche a du mal à la médiatiser. Ce que vous allez parcourir, cher lecteur, vous paraîtra probablement toujours difficile, mais l'écriture croyez-moi en a été épurée, simplifiée, et grandement embellie : l'auteur a fait un effort de clarification remarquable. En revanche, s'il faut quand même s'accrocher, c'est parce que la matière de ce livre reste dense sans être confuse, riche sans être écoeurante, ardue parce que la science elle-même requiert que l'on fasse un effort pour elle, et qu'un travail scientifique ne pourra jamais se réduire à un article journalistique.

Cela dit, la patience sera certainement récompensée, car la démarche de l'auteur est profondément pédagogique : parce que Christophe Lecerf a parcouru de bout en bout tout le problème de la modélisation de la pensée, il va retracer pour vous l'ensemble de son cheminement. C'est donc à la fois un ouvrage de généraliste et de spécialiste, et de ce fait, il échappera toujours à une classification abusive.

Généraliste, ce travail l'est dans son ampleur et dans sa nécessité de redéfinition des notions de base. On part de la question fondamentale : que fait un neurone ? Cette question est beaucoup plus importante, croyez-moi, que la description en constituants de la cellule nerveuse. Une définition fonctionnelle a pour objectif de nous montrer comment on peut partir du substrat granulaire le plus petit au-dessus duquel la pensée va commencer à se former. Rassurez-vous, Lecerf ne commet pas le énième livre sur les neurones. Pour lui, comme pour nous, c'est le début.

Le neurone, c'est la brique matérielle à partir duquel va se former l'Objet Mental, qui est une association fonctionnelle de neurones qui " produit " de la pensée. Là est l'apport très spécialisé de l'auteur. L'objet mental, vu comme une boucle d'abord, puis construit comme une boucle double, structure hautement stabilisante, si évidente, mais si géniale, comme toutes les évidencesÉ

A partir de l'objet mental originel, Christophe Lecerf montre comment des lois de composition de ces objets permettent de créer des objets de plus en plus complexes, de plus en plus abstraits. Des mécanismes que nous connaissons tous, comme l'association, l'oubli, l'agrégation, sont minutieusement décrits, avec rigueur et compétence, dans le cadre de référence du modèle. On voit alors l'oubli comme un processus nécessaire, alors qu'on le pensait indésirable, et la pensée structurée émerge des combinaisons d'objets mentaux induites par leurs potentialités et par les contraintes du milieu ambiant.

Au passage, de façon magistrale, Lecerf montre que le système " informationnel " dans lequel on peut modéliser le système nerveux central des êtres vivants, est un système comprenant l'organisme et son environnement. Il retombe sur des résultats de la systémique des Organisations découverts par des économistes et des sociologues comme Mélèze ou Le Moigne.

Il montre aussi comment la pensée abstraite se fait par sublimation des objets mentaux structurant les perceptions concrètes, la sublimation ne modifiant pas la nature du support.

C'est le même modèle qui sert de représentation aux objets mentaux représentant les images perçues par l'oeil ou les sons par l'oreille, et aux structures symboliques de la logique des prédicats. Ce n'est pas une boutade, l'ouvrage de Lecerf décrit largement les deux aspects. Plus encore, les objets mentaux décrivant des émotions sont de même nature et structure que ceux de la pensée : ils n'ont simplement pas la même " coloration ", et ce n'est qu'une question de paramètres.

En trois coups de cuillère à pot, Lecerf règle son compte au vieux dilemme et de l'intérieur et de l'extérieur : tous les objets mentaux sont exprimables dans le même modèle, quel que soit le mécanisme (acquisition ou abstraction, ressenti ou perception) qui ait servi à les engendrer. Ca, c'est une pierre dans le champ des cognitivistes purs et durs : l'émotion est un environnement cognitif pour Lecerf, et sa théorie permet de rendre compte des " confusions " apparaissant dans certaines pathologies, à savoir lorsque les représentations d'origine émotionnelle ne sont pas dissociées par le sujet des représentations d'origine sensorielle ou abstraite.

Christophe Lecerf démontre, et c'est bien le terme qui convient, que la représentation d'une information (par objet mental) n'a rien à voir avec la conscience qu'en a le sujet. Toutes les informations sont représentées par le biais des mêmes briques de base dans le cerveau, et donc sont conjugables à loisir. En revanche, c'est le sujet qui, être conscient, va décider si tel ou tel objet mental réfère correctement ou non un objet du monde extérieur.

Cette décision, Lecerf montre qu'elle est souvent le résultat de l'application d'un mécanisme complexe de pondération sur les objets mentaux : une extension de la loi de Hebb dit-il. Une instanciation rigoureuse et complète du principe selon lequel plus une représentation est sollicitée et est validée, plus elle a des chances d'être présente et prégnante à chaque interaction entre l'organisme et son environnement.

Les organismes vivants, qu'ils soient individuels ou collectifs, apprennent. L'apprentissage est le processus par lequel les objets mentaux se multiplient. En expliquant patiemment, en bon professeur qu'il est, toutes les techniques afférentes à cette genèse et à sa reproduction, Christophe Lecerf comble un grand vide épistémologique dans notre problématique scientifique. Jusqu'à présent, nous avions d'un côté les " neuros " qui expérimentaient sur la quincaillerie biologique, et montraient les relations concrétisées dans leur substrat organico-chimique. D'un autre côté, nous avions les " psychos " qui travaillaient avec des organismes complexes que sont des enfants ou des adultes en situation d'apprentissage, et, ne pouvant sonder la quincaillerie, observaient son comportement global. C'est comme si, pour comprendre une application informatique, d'un côté on autopsiait les composants de la machine sur laquelle elle tourne, et d'un autre côté on fournissait un jeu d'essais au logiciel pour extrapoler ses fonctions à partir des résultats observés.

En proposant sa Théorie des Objets Mentaux, Christophe Lecerf jette une passerelle entre ces deux extrémités : il fait un vrai travail d'informaticien, c'est-à-dire un travail de modélisateur de systèmes dont on ne connaît que les contraintes. Comment modélise-t-on ces systèmes ? Eh bien, on crée un énoncé théorique, qui s'appelle spécification, qui est tel qu'il satisfait toutes les contraintes du système. Ce faisant, on introduit des contraintes intermédiaires, mais l'ensemble doit obéir toujours au postulat de la cohérence logique. Les Objets Mentaux en double boucle sont un modèle satisfaisant de comment on passe du neurone de Changeux et Dehaene au Modèle Mental de Johnson-Laird en psychologie cognitive. On peut vérifier la cohérence intrinsèque de ce modèle en utilisant un ordinateur comme un vérificateur de non-contradiction : c'est ce que Christophe Lecerf a fait. Il a aussi utilisé les ordinateurs comme supports de simulation de son modèle dans des cas théoriques, et en a déduit un certain nombre de résultats intéressants.

Mais il y a beaucoup plus. Ce n'est pas par hasard que l'informatique est probablement la discipline intrinsèquement fondamentale d'une compréhension scientifique de la cognition. Le modèle de Lecerf est un modèle de nature informatique : la double boucle est inscrite dans les " gènes " de notre appréhension du traitement automatisable de l'information. Si ce modèle, de nature informatique, vérifié dans sa cohérence interne par un ordinateur, se révèle être davantage qu'une passerelle théorique entre deux champs d'investigation scientifique, alors il faudra reconsidérer très fortement notre appréhension de l'artefacture. Mais la réponse est là, dans les objets mentaux eux-mêmes : il n'y a guère de différence entre le dedans et le dehors. Il n'y a guère de différence peut-être entre ce que nous énoncons des objets mentaux et les objets mentaux qui matérialisent cette énonciation. Qu'ils soient naturels ou artificiels par simulation, sur le plan fonctionnel, quelle importance, même si sur le plan ontologique, la distinction est incontournable. C'est une question à méditer, mais le livre de Lecerf donne à méditer à chaque page, voire à chaque paragraphe. La richesse d'une théorie n'est pas tant proportionnelle au nombre de réponses qu'elle donne, qu'au nombre de nouvelles questions qu'elle soulève. Grâce au modèle de Christophe Lecerf, je m'émerveille de découvrir un océan de questions nouvelles qui moutonne aussi loin que l'oeil peut le suivreÉ Et je souhaite à tout lecteur le même enchantement.

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Table des matières :

1. UNE LEÇON DE PIANO 23

2. DU NEURONE A L'OBJET MENTAL 29

3. LES PROPRIETES ELEMENTAIRES DES OBJETS MENTAUX 43

4. LES MECANISMES ELEMENTAIRES DE L'INTERACTION ENTRE OBJETS MENTAUX 59

5. LES INTERACTIONS DE BASE 69

6. LES INTERFERENCES ENTRE BLOCS D'OBJETS MENTAUX 91

7. L'INTERPRETATION COGNITIVE DU FONCTIONNEMENT DU SNC 105

8. APPLICATIONS DES OBJETS ABSTRAITS 117

9. APPRENTISSAGE, MEMOIRE A COURT TERME, MEMOIRE A LONG TERME 127

10. PERCEPTION, ACTION ET CONSCIENCE 143

11. LES OBJETS MENTAUX ET LE TEMPS 151

12. LA REPRESENTATION DE L'ACTIVITE MENTALE EN FONCTIONNEMENT 161

13. LA DOUBLE BOUCLE DE L'ORGANISME ET DU SNC 165

14. LE FILTRAGE, LA PERCEPTION ET LE COMPORTEMENT 183

15. LE PHENOMENE DE L'ACTIVITE MENTALE COGNITIVE AUTOMATIQUE 195

16. FONCTIONS COGNITIVES ET APPRENTISSAGE - CONCLUSION 209

EPILOGUE 221

 

Remarque importante

Cet ouvrage est une rédaction pédagogique d'un cours sur l'apprentissage automatique dans les réseaux de neurones formels. Les conditions de sa réalisation n'ont pas permis la présence d'un index, non plus que de références bibliographiques scientifiques.

Pour ces dernières, il est conseillé de consulter les articles relatifs à cette théorie et publiés récemment.

C. Lecerf, "The double loop as a model of a learning neural system", SCI'98 Proceedings, vol. 1, pp 587-594, Orlando, July 12-16, 1998.

C. Lecerf, "Double loop flows and bidirectional Hebb's law in neural networks", to appear in VI-DYNN'98 Proceedings, Stockholm, June 22-26, 1998.

C. Lecerf, "Short and long term memories in a double loop neural model", to appear in ICNN&B'98 Proceedings, Beijing, October 27-30, 1998.

 

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